Aller au contenu principal

Rencontre avec le comédien, metteur en scène et auteur Stanislas Roquette

La Fédération souhaite explorer le lien entre l’art et le diabète de type 1 ou 2 et plus généralement entre la création artistique et la maladie chronique. Dans ce contexte, nous rencontrons Stanislas Roquette, atteint d’un diabète de type 1, auteur et interprète de la pièce de théâtre : Insuline & Magnolia, actuellement à l’affiche jusqu’au 4 mai 2025 au théâtre de la Reine Blanche à Paris.

 

« Le diabète n’est pas qu’un frein à la vie, c’est aussi une révélation de notre puissance ».

 

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

« Bonjour, je suis Stanislas Roquette, comédien de théâtre depuis bientôt 20 ans maintenant. Je suis aussi metteur en scène au sein de ma propre compagnie : « Artépo », implantée à Amiens, avec laquelle je fais des spectacles depuis plusieurs années. J’ai écrit ce seul en scène autobiographique : Insuline & Magnolia.
J’enseigne également le théâtre pour des publics différents : adultes, jeunes, professionnels de théâtre, ainsi que la prise de parole en public, à Sciences-Po, dans plusieurs universités et dans des entreprises, ce qui me permet de mettre les outils du théâtre au profit de personnes soucieuses de mieux s’exprimer. »

 

« Le diagnostic du diabète de type 1 : un gros nuage qui a assombri mon quotidien, mais aussi réveillé mon urgence de vivre »

 

À l’âge de 15 ans, tu es diagnostiqué d’un diabète de type 1. Tu trouves un réconfort dans la poésie et la littérature. Quelle est la place de l’art à cette période de ta vie ?


« C’est justement ce que je raconte dans Insuline & Magnolia. Je n’étais pas vraiment connecté à la littérature et à la poésie, étant jeune. Je préférais jouer au foot et aux jeux-vidéo, mais le diabète de type 1 à 15 ans a été un diagnostic brutal.  J’étais à l’étranger à cette période, et je me suis retrouvé hospitalisé, rapatrié en France. Cela a été un moment douloureux, que connaissent bien les parents d’enfants atteints d’un diabète de type 1. 
La maladie a généré en moi une sorte d’électrochoc, et une prise de conscience (assez tôt) de notre « finitude », de la possibilité de mourir. Des mots, qui désignent des choses parfois très dures apparaissent dans l’environnement, comme « le coma », les petites complications à moyen et long terme… 
J’ai vécu cela comme un gros nuage qui a assombri mon quotidien et en même temps réveillé mon urgence de vivre, de profiter au maximum, de rencontrer de nouvelles personnes et d’accomplir de nouvelles choses. J’ai changé d’environnement, quitté mon lycée dans lequel je ne me sentais pas bien. »

 

« La littérature m’a donné envie de jeter mon corps dans les mots, dans la poésie, c’est une des raisons pour lesquelles je fais ce métier aujourd’hui »


« J’ai alors rencontré une jeune femme : Fleur, qui avec sa personnalité incroyablement excentrique, extravagante et fantasque, m’a fait découvrir la littérature, la poésie et les voyages. J’ai vécu cela comme une seconde naissance. Ce lien avec la littérature m’a donné envie de jeter mon corps dans ces mots, dans cette poésie. C’est une des raisons pour lesquelles je fais ce métier aujourd’hui ».

 

Le 1er mars 2023, ce premier texte autobiographique : Insuline & Magnolia est publié aux éditions Actes-Sud. Aujourd’hui tu joues ce même texte sur scène. Peux-tu nous en dire davantage ?

« J’ai démarré le théâtre dans des cafés-théâtres à Lyon, en écrivant des sketchs à la première personne. J’avais envie de faire rire les gens, en racontant des expériences personnelles. 
Après j’ai été acteur au service de textes plus classiques et contemporains. Mais j’ai eu envie il y a 5 ans, au moment du premier confinement lié au Covid-19  de revenir à des choses plus personnelles. D’un coup, cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de tout le monde, et le classement des activités jugées essentielles et non-essentielles m’ont fait réfléchir à la fragilité de l’existence. Aller se nourrir de musique, de théâtre et de peinture n’était plus possible. Cela m’a rappelé à quel point la littérature et la poésie avaient été un secours vital pour moi, au moment du diagnostic de mon diabète. »

 

« La poésie comme une sorte de transcendance laïque »

« Étant petit, j’avais un rapport intime avec la foi chrétienne, mais le diabète m’a donné l’impression d’avoir été abandonné et m’en a éloigné. J’ai trouvé grâce au théâtre et à l’amour des mots, une manière de garder une fidélité avec ça. La poésie a agi comme une transcendance laïque. »

« Le travail d’écriture et de récit, mon fait prendre conscience que ce n’était pas rien d’avoir une telle maladie »


Considères-tu que ta pratique artistique et tes références culturelles t’aident, ou non, à mieux vivre avec ton diabète de type 1 ?

« Pendant longtemps, le diabète était un non-sujet. Je n’en parlais pas. C’était là, comme une espèce de chose indiscutable. Je me suis toujours interdit de me plaindre. Les piqûres, c’était comme se brosser les dents, il fallait le faire c’est tout. Je n’ai pas eu de rejet du diabète, ni d’arrêt de traitement et de déni. Mais j’occultais un peu la place que la maladie avait dans ma vie. 
Le travail d’écriture et de récit, m’ont permis de me rendre compte que ce n’était pas rien d’avoir une telle maladie chronique, incurable, auto-immune, et qu’elle avait une place centrale dans ma vie. Qu’est-ce que cela signifie, lorsque ton propre corps s’en prend à lui-même ? »

 

« Il y avait cette question du : pourquoi moi, qu’est-ce que j’ai fait ? »

« Un docteur m’avait dit : « Il y a dans le ciel un tireur fou, qui canarde au hasard, et c’est tombé sur toi. », ce qui ne cesse de me questionner depuis. Il y aurait une sorte de force maléfique qui nous veut du mal ? Difficile à entendre.
Oui, l’art m’a permis de faire face au danger que je ressentais dans mon corps à ce moment-là, en le mettant sur scène. Un auteur de théâtre : Valère Novarina, dit que dans tout corps d’acteur, il y a quelque chose qui n’a pas été accepté, et contre lequel il se bat, qui donne la nécessité de jouer, de sortir de son corps pour aller jouer d’autres personnages. Je sens également cette envie d’être transcendé, dépassé par autre chose que moi-même. Je pense que pour le diabète, il y a pour moi quelque chose de cet ordre-là : une forme de rage, une envie d’en découdre avec quelque chose qui est dans le corps. »

 

Nous observons que les personnes atteintes de diabète de type 1, ou plus largement d’une maladie, s’orientent vers le monde artistique. Pourquoi, selon toi ?

« André Malraux (écrivain) comme Gilles Deleuze (philosophe), par exemple, parlent de l’art comme une résistance à la mort. L’art serait une force de vie, une force de l’âme humaine ayant la capacité de traverser les âges et le temps, et qui aurait une réponse à apporter face à l’absurdité de la mort. La création est peut-être la force vive la plus forte de l’Homme finalement. »

 

« Toute histoire est singulière, et c’est dans cette singularité intime, que se trouve l’universel. »

 

Penses-tu avoir réussi à transmettre un message universel à travers Insuline & Magnolia, malgré la singularité qu’est le diabète de type 1 ?

« Ce spectacle ne s’arrête pas au diabète. Chemin faisant, pendant le spectacle je parle de moins en moins du diabète et à la fin plus du tout. Pour moi, la maladie n’est pas une fin en soi, c’est justement quelque chose qu’il faut traverser pour aller vers ailleurs, vers l’autre, l’amitié, l’amour, les passions, l’art… 
Toute histoire est singulière, et c’est dans cette singularité intime, que nous retrouvons une forme d’universalité, lorsque celle-ci est bien racontée. C’est aussi pour cette raison que je me suis entouré de beaucoup de personnes pour mettre à distance mon histoire, en faire un récit et la scénariser.
Alexis Leprince, dramaturge, m’a beaucoup aidé pour cela. Ce n’est pas juste raconter mon histoire, c’est aussi raconter une histoire. Il y a des règles de l’art, forgées au fil des siècles, qui produisent l’envie de savoir la suite, la tension narrative, la surprise, les rebondissements… Toutes ces choses représentent un travail littéraire et dramaturgique. Pour le travail théâtral, de mise en scène, de jeu et d’interprétation, je me suis fait aider notamment de Guillaume Gallienne (acteur et scénariste). Il fallait faire en sorte que ce spectacle intéresse aussi des personnes qui ne sont pas atteintes de diabète. L’enjeu était de façonner la singularité d’une histoire, pour qu’elle puisse parvenir à tout le monde. »

 

As-tu une préparation particulière avant de monter sur scène, comme tu t’apprêtes à le faire du 9 avril au 4 mai prochain ?

« Je me mets toujours en hyperglycémie avant de jouer, en injectant moins d’insuline, ou en mangeant plus et j’essaye d’avoir toujours un peu d’eau pas loin parce que l’hyperglycémie assèche la bouche.  L’hypoglycémie en jouant est absolument impossible. Je l’ai vécue une fois, et je ne recommande pas. Je jouais Candide de Voltaire. Il se trouve qu’il y avait dans le décor une cannette de soda, qui devait être là depuis 4 ans. Je n’avais pas d’autres solutions : j’ai ouvert cette cannette, qui a explosé, il y en avait partout, je l’ai bue n’importe comment… Le fait que Candide se saoule de soda avec une cannette qui explose, ne devait pas forcément être très clair pour le spectateur… »

 

« Le quotidien du diabète, c’est un yoyo glycémique et émotionnel, qui nous contraint à une écoute du corps et des émotions »    

« Les médecins m’ont dit que ce qui faisait monter le taux de sucre était la nourriture bien sûr, et ce qui le faisait baisser était l’insuline et l’activité physique. Mais ils m’ont aussi dit : il y a un « facteur émotionnel X », qui peut faire monter ou descendre la glycémie, selon ce que tu vis intérieurement. Pour moi, le facteur émotionnel X, c’est ça, le quotidien du diabète. C’est une présence permanente, un yoyo glycémique et émotionnel, qu’il faut gérer. Le diabète nous contraint à une écoute du corps et des émotions. Ce va et vient émotionnel, représente le mouvement de la vie et le diabète nous le rappelle de manière sensible et impressionnante. »

 

Quel message aimerais-tu transmettre aux personnes atteintes de diabète qui hésitent à se lancer dans une activité artistique, ou à venir voir ton spectacle ?

 

« L’art est un grand secours dans nos existences »

« Je croise beaucoup de personnes qui auraient voulu faire de la musique, de la danse, du théâtre, de l’écriture, de la peinture…Il y a beaucoup d’adultes qui disent cela : « J’aurais voulu, mais à un moment il a fallu que…ou mes parents m’ont dit que… » Il y a beaucoup de renoncements, beaucoup de petits deuils faits dans les vies de chacun. Je trouve que cela est dommage parce que nous pouvons bénéficier des immenses vertus et bienfaits que l’art procure. Pratiquer une activité artistique est une manière de se connecter à ce qui est plus grand que soi, c’est une manière de sortir de la routine de tous les jours. 
Donc je ne peux qu’encourager les personnes à ne pas trop écouter leurs peurs et leurs renoncements, parce que l’art est un grand secours dans nos existences. Quant au spectacle, je ne peux que dire : welcome ! »

 

« La maladie est une chance offerte, pour nous dépasser nous-même »

As-tu un dernier message à faire passer ?

« Si d’un claquement de doigt, on me proposait de m’enlever mon diabète, je ne crois pas que j’accepterais. Le diabète m’a constitué, m’a construit, m’a apporté énormément. Le diabète, ou la maladie en général, est quelque chose qui survient et nous sommes appelés à en faire quelque chose. La maladie fait partie de la vie, ce n’est pas qu’un frein à la vie. C’est aussi une révélation de sa puissance parce que le corps doit se battre, l’âme doit trouver des ressources intérieures. La maladie est une chance offerte, pour nous dépasser nous-même. Si elle ne s’était pas présentée, nous n’aurions peut-être pas eu toute cette énergie ».

 

La Fédération vous invite à aller voir le drôle et sympathique Stanislas Roquette, sur scène, pour son spectacle Insuline & Magnolia, jusqu’au 4 mai 2025, au théâtre de la Reine Blanche, dans le 18e arrondissement à Paris. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site du théâtre : www.reineblanche.com/calendrier/theatre/insuline-magnolia

Tarifs : 

-Tarif plein : 25 € 
-Tarifs réduits :
-    Seniors, résidents du 18e  arrondissement de Paris, demandeurs d’emploi (France Travail), étudiants et personnes bénéficiaires de minima sociaux : 20 € ;
-    Personnes âgées de moins de 26 ans : 10 €.


Cet entretien vous a intéressé, et vous souhaitez découvrir davantage de témoignages sur la thématique de l’art et du diabète de type 1 ou 2 ?  Restez connecté pour découvrir le prochain entretien passionnant avec Marc Bengué, Bénévole Patient Expert à l’Association des Diabétiques d’Île-de-France, atteint de diabète de type 1 et choriste !

Crédit photo : Stanislas Roquette