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Echanges avec le Docteur Marc Villaceque, Président du Syndicat National des Cardiologues, fervent défenseur de l’innovation

Quel rôle joue le cardiologue dans la prévention du diabète ? Comment accompagne-t-il le patient in fine ? C’est à travers le regard de Marc Villaceque, Président du Syndicat National des Cardiologues de 2020 à 2023 que nous avons souhaité évoquer l’engagement quotidien de ces professionnels de santé spécialisés dans les maladies du cœur et des vaisseaux. Généreux,   il nous a aussi confié ses aspirations pour la mise en place d’un système de santé optimisé. Un portrait authentique, riche en apprentissages et porteur d’espoir pour les millions de patients concernés. 

Cela fait maintenant plus de 15 ans que vous exercez en tant que cardiologue… Pourquoi avoir choisi ce métier ?
J'ai choisi la cardiologie parce que c'est une discipline où on peut aider à guérir. C'est une discipline, à la fois médicale et technique, où on réalise un diagnostic puis on agit directement en mettant en place un traitement pour le patient. Cette discipline couvre aussi des champs assez larges comme  la prévention, l’objectif premier étant que la maladie n’apparaisse pas. Cependant, lorsqu’elle est déjà installée, mon rôle est d’analyser un ensemble d’informations pour déterminer la cause. Après, je peux proposer un traitement qui, je l’espère, apportera des solutions. Agir par des actions de prévention jusqu'à l'insuffisance cardiaque entraînant parfois un décès reste un véritable challenge. Mon métier, c’est, en réalité, d’accompagner un patient tout au long de sa vie. 

Comment avez-vous eu envie de vous diriger vers cette spécialité ? 
Durant mes études, j’ai découvert que les matières associées à la cardiologie étaient très mathématiques et physiques et donc assez scientifiques. Un plus un est égal à deux contrairement à l’amour ou un plus un est égal à trois ou quatre. C'est un peu aussi comme le diabète, le taux de glycémie  qui est trop bas ou trop haut, il y a des signes qui permettent d’apporter un diagnostic. Alors qu’il peut y avoir des maladies sans symptômes , typiquement les cancers. On ne sait pas si on a un cancer ou pas, le diagnostic est souvent compliqué. Dans la cardiologie, le diagnostic est plus simple. Concrètement, vous avez une douleur, un circuit électrique ne marche plus, vous faites une pause cardiaque. Cette façon de réfléchir m’a plu, avec cet aspect très opérationnel avant, pendant et après.

Pourquoi avez-vous décidé de vous engager au sein du Syndicat National des Cardiologues ?
Jusqu'à présent, l'innovation était principalement pharmacologique, c'est-à-dire avec de nouveaux médicaments efficaces et techniques, avec de nouvelles techniques opératoires. Mais maintenant, nous sommes limités par notre organisation. Je suis aussi convaincu que l’innovation doit se diriger vers une innovation organisationnelle.  Force est de constater que nous n’avons pas assez de médecins, que le parcours de santé n’est pas assez coordonné entres tous les professionnels de santé. La structure qui permettrait de se réorganiser, c'est celle d’un syndicat. En effet, à mon sens, les sociétés savantes restent dans des sujets plus thérapeutiques et techniques. Il est bien de dire à une personne vivant avec un diabète qu’elle peut être bien prise en charge, il faut cependant que l'innovation puisse arriver jusqu’à elle. Trop souvent, nous sommes mal organisés pour pouvoir offrir au patient tout ce dont il a besoin. Mon engagement s’inscrit dans la volonté d’apporter, par une meilleure coordination de notre réseau, un accompagnement plus performant à chaque patient. 

J'ai pu voir sur votre site que vous avez mis en place un nouvel outil de coordination entre les différents cardiologues et les équipes de  soins spécialisées…
Oui, c’est un réseau qui met en relation « les jeunes et vieux cardiologues ». C'est un peu à l'image de la médecine au sens large, il y a beaucoup d'acteurs mais peu arrivent à se connecter.  Tout le monde est de bonne volonté, mais chacun dans son coin n’entraîne pas le sentiment d’être fédéré. L’objectif de cet outil destiné aux cardiologues est de créer ce maillage indispensable aux professionnels de santé et aux patients.  

Vous mentionnez le travail connecté autour de l'innovation organisationnelle. Pouvez-vous nous expliquer ce concept ? 
Je pense qu'il faut que les acteurs de santé à l'intérieur d’un territoire puissent se fédérer. Et je crois que l'ère du « tout médecin » est fini. Maintenant, nous composons une équipe pluridisciplinaire ou en tout cas une équipe médicale au service de chaque patient. Les prises en charge ne peuvent être faites qu’à plusieurs. Pour les maladies chroniques comme le diabète, la prise en charge relève plus d'une équipe que d'un seul médecin avec un stéthoscope et un brassard à tension. C'est aussi une autre façon de s'organiser. Malheureusement, pour l'instant, certains médecins restent dans une logique de simple consultation médicale autour d’un traitement. Alors que d’après de nombreux témoignages, il est important d’apporter autre chose à la personne. Le patient  a probablement besoin d'éducation thérapeutique, de prendre le temps de parler, de s'expliquer, de digérer l'information. Typiquement, dans mes consultations, je suis des patients vivant avec le diabète même si je ne suis pas diabétologue. Idéalement, si j’ai un rendez-vous avec eux tous les ans sur un temps de consultation limité, c'est pour les accompagner sur le plan technique et réglage du traitement. Mais après, une équipe doit être consultée pour la prise en charge psychologique avec des conseils pratiques et de la pédagogie. Le patient attend une prise en charge globale et aujourd’hui, ce qu’on lui offre reste trop restrictif. 

Ce que vous soulignez ici, c’est le besoin de transversalité. Une équipe s'appuyant notamment sur l'innovation, pour mettre à disposition peut-être plus de moyens, tant pour les professionnels de santé que pour les patients… 
Oui, c'est ce que souhaite valoriser le Syndicat National des Cardiologues : le travail aidé. Cela peut être des assistants médicaux qui aident en amont de la consultation, en réalisant des électrocardiogrammes, en prenant la tension des deux bras debout, couchés avec cinq minutes d’intervalles. Ce qu’on ne fait jamais ! Ou en aval avec une infirmière de pratique avancée qui va prendre le temps de réexpliquer ou de revoir le patient et d’adapter le traitement. A titre informatif, je suis aidé d’une infirmière en pratique avancée dans mon quotidien. La première étape pour l'innovation organisationnelle, c'est ce travail aidé.  La deuxième, étape c'est d'être connecté, c’est-à-dire de savoir utiliser les outils qui existent, comme le système de téléconsultation par exemple.  Ne pas faire revenir un patient juste pour un résultat d'examen, cela semble cohérent car je trouve dommage pour lui de faire trente kilomètres pour une simple délivrance d’information. Nous, les cardiologues, nous couvrons des territoires assez larges, représentant un demi département voire un département entier !  
Il y aussi le sujet de la télé-expertise ou comment communiquer tout en étant rémunéré avec un médecin traitant à bien maîtriser. La télésurveillance possède aussi un intérêt tout particulier avec le fait de suivre un patient cardiaque à domicile où il est équipé d’un appareil à tension et d’une balance connectée. On peut ainsi vérifier son poids et sa tension Cela lui évite de se déplacer et cela nous permet de prévenir de futures décompensations. 
A noter que nous devons aussi améliorer nos actions concernant le travail coordonné. Il s’agit d’expliquer aux cardiologues l'intérêt d’intégrer des équipes de soins spécialisés. Ces équipes permettront de fédérer les cardiologues à l'intérieur d'un département et un  meilleur accès aux soins de tous les patients. Nous avons des délais de prise de rendez-vous longs et l’idée est de pouvoir s’organiser pour éviter qu’un patient ayant urgemment besoin de nous voir  n’appelle dix cabinets pour savoir quand un rendez-vous est possible. 

Vous rencontrez régulièrement des personnes vivant avec un diabète. Comment les accompagnez-vous ? 
La plupart du temps, les patients me sont adressés par leur médecin généraliste. Après, j'ai accès souvent aux prises de sang réalisées par le patient. Quand je constate un niveau de glycémie inquiétant, j’annonce le risque de devenir diabétique. D’autres patients consultent aussi pour savoir s'ils ont des maladies cardiovasculaires. J’explique alors l’importance de suivre son taux de glycémie. L’association « J'ai un chiffre de sucre élevé et je vais mourir du cœur » n’est pas un automatisme. Les personnes concernées ne voient pas l’impact du sucre pour le bon fonctionnement de leur cœur. Si le taux de glycémie est trop élevé, le cœur va s’abîmer plus vite, c’est un risque mortel. Je les informe donc des maladies qu’ils peuvent développer : une maladie coronaire ou encore de l'insuffisance provoquant un infarctus. Si les patients ont d'autres facteurs de risque, ce qui est malheureusement souvent le cas comme du cholestérol ou la consommation de tabac ou un surpoids, j’exprime bien sûr le fait qu’ils doivent faire encore plus attention car il s’agit de la multiplication de risques. En fonction de chaque patient, j’explique les examens à réaliser ou à ne pas faire. Nous évoquons ensemble le suivi associé, j’apporte des informations, de la compréhension permettant de rassurer bien évidemment. 

Vous mentionnez les facteurs de risques avec notamment la consommation de tabac dans le développement de maladies du cœur. Comment repérez-vous ces  facteurs ? 
Dès le début de la consultation, le cardiologue pose les questions des facteurs de risques notamment le tabac. Est ce que la personne est fumeuse ?  A-t-elle déjà fumé ? Quelle quantité ? Fumeuse passive ou pas ? Et après, je pose des questions associées à l'hypertension artérielle, au diabète. Quand on évoque l’arrêt du tabac avec les patients, ils savent tous qu'il faut arrêter, mais ils ne se sentent pas prêts. Ils savent d’ailleurs très bien ce qu'on va leur dire et ce n’est pas en une consultation qu’un cardiologue va pouvoir modifier le comportement néfaste de son patient qu’il a très souvent adopté depuis de nombreuses années. Notre mission est d’arriver à faire passer le message qu'à l'heure actuelle, on peut arrêter le tabac avec de l’aide, sans souffrance et avec plusieurs techniques disponibles. Le tout, c'est de vouloir agir, avoir une réelle volonté. 
J’informe souvent des solutions proposées par le site Tabac Info Service. Vous pouvez avoir une personne au téléphone et l’application est très bien faite. L’objectif, c'est rassurer le patient et l’encourager à aller faire cette démarche. C'est juste de mettre une petite graine dans la tête du patient. Et la graine, il faut savoir la planter suivant le caractère, est-ce que c'est un terrain humide et un terrain sec ? Et puis un jour, elle va germer. C’est étonnant, parfois il y a des phrases qu'on dit rapidement au patient à la fin d’une consultation. Et deux ans plus tard, cette personne  revient en nous disant « Ah vous m’avez dit ça et cela a marché ! ». Et puis pour d’autres situations, on a pris beaucoup de temps pour expliquer le risque et rien n’y fait ! 
La première action, c’est d’aller voir son médecin traitant avec un seul objectif : trouver de l’aide pour arrêter de fumer.  
 
Qu'est-ce qu'un cardiologue peut apporter en plus dans cet arrêt du tabac ? 
Le cardiologue va être seulement un acteur parmi d'autres dans cet arrêt. Or si chaque acteur exprime ce même message de prévention, petit à petit, l’information va être écoutée Néanmoins, la clef c’est de s’adapter à chaque profil. Il y a des patients qui vont attendre des chiffres clefs impactant et d’autres qui vont être plus réceptifs à l'émotion. Il faut arriver à identifier « la corde sensible » qui va permettre à chacun d’agir. Et c'est difficile ! Le patient a besoin d’un suivi au quotidien et non de quelques rencontres sur un an. Maintenant, il existe des applications où les personnes peuvent, avant d’entrer en consultation, dire leurs états psychologiques, s’ils suivent leurs traitements, s’ils ont arrêté leurs médicaments car ils n’y croient pas … Connaître un peu plus le caractère d’un patient en amont d’une consultation permet de savoir sur quel axe engager le dialogue. Nous ne pouvons pas maintenir le même discours, tels des robots à chaque patient. De manière générale, nous sommes trop souvent dans notre zone de confort. Il faut arriver à comprendre le niveau d’apprentissage, émotionnel et psychologique du patient pour avoir ce qu'on appelle la meilleure des alliances.