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Entretien avec Amélie Lemang sur le Théâtre du Vécu

Entretien de la FFD avec Amelie Lemang sur le Theatre du Vecu

Dans cet entretien, la Fédération a tenté de décrypter ce qu’est le Théâtre du Vécu et ce qu’il peut apporter aux personnes atteintes de diabète, en interrogeant Amélie : étudiante en master d’études théâtrales.


« Dans le cas du diabète, l’art permet de rendre visible une maladie invisible. »

 

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

« Bonjour, je suis Amélie Lemang, 22 ans, atteinte de diabète de type 1. J’ai commencé le théâtre depuis toute petite à Merville, dans le Nord de la France. J’ai décidé ensuite de faire une licence d’études théâtrales à Lille. En parallèle, j’ai commencé le Conservatoire d’arts dramatiques de Tourcoing, dans lequel je suis restée quatre ans, jusqu’à l’obtention de mon certificat d’études théâtrales (CET). Maintenant je suis en master de théories et pratiques du théâtre contemporain. Je continue à jouer à en tant qu’amatrice, par exemple, au festival d’Avignon. En parallèle je suis comédienne et conteuse au musée de Flandres à Cassel, ainsi qu’intervenante en atelier théâtre. »

 

Tu as réalisé un mémoire intitulé : La présence des diabétiques de type 1 au théâtre. Pourquoi t’être intéressée à ce sujet ?

 

« J’ai été déclarée diabétique de type 1 à 16 ans, un âge où l’on doit choisir son orientation professionnelle. À l’annonce du diagnostic, je me suis dit : maintenant que ma vie ne tient plus qu’à l’insuline, autant faire quelque chose que j’aime vraiment. J’ai commencé la licence comme ça et une question s’est vite posée : comment être diabétique au théâtre ?  Durant ma licence et au conservatoire, je me suis bien rendu compte de la difficulté d’être à la fois comédienne et atteinte d’un diabète : je devais parfois cacher mes dispositifs, gérer l’hypoglycémie et l’hyperglycémie sur scène, ainsi que les horaires tardifs. 
Cette année je prépare un second mémoire sur le thème de l’inclusion des personnes atteintes de diabète de type 1 (spectateurs et comédiens), au théâtre. Je commence mon introduction en citant Claire Marin : autrice atteinte de maladie chronique : « C’est une maladie chronique, étymologiquement cela veut dire qu’elle rythme mon existence, la mesure, lui donne son tempo, le temps naît avec elle. […] C’est une maladie de compagnie. » La maladie rythme mon existence et c’est aussi pour cela que je fais un mémoire dessus. Au fil du mémoire, j’ai apprécié travailler sur les différents enjeux : médicaux, humains, sociaux et artistiques, il y a beaucoup de domaines à approfondir. »

 

Tu y parles notamment du Théâtre du Vécu. Peux-tu nous expliquer en quelques mots de quoi il s’agit ?

 

Naissance de l’initiative 

« Le Théâtre du Vécu naît de la rencontre entre le médecin Jean-Philippe Assal et le metteur en scène Marco Malavia. Jean-Philippe Assal lui a dit : « Je suis certain que si nous arrivions à aider nos patients à prendre de la distance avec ce vécu qui a un rapport avec leur maladie chronique, comme dans le cas du diabète, ils amélioreraient non seulement leurs capacités d’acceptation de cette maladie, et plus encore, ils géreraient mieux leurs traitements, et vous les gens de théâtre, je suis certain que vous pouvez nous aider. » C’est par cette rencontre que l’initiative du Théâtre du Vécu est née. »  

 

Où se déroule l’atelier, qui l’organise ? 

« Le Théâtre du Vécu est un dispositif qui est mis en place, surtout dans les hôpitaux, les centres de soins et les centres éducatifs. Ce dispositif se fait avec un metteur en scène et souvent deux comédiens, professionnels du spectacle vivant. Le but est de créer une mise en scène autour d’un récit. »

 

Pour qui ?

« Le Théâtre du Vécu s’adresse à l’origine aux malades chroniques, aux personnes qui vivent la maladie au quotidien, dont le diabète de type 1. Au fur et à mesure, le dispositif a été élargi aux autres maladies mais aussi aux victimes de catastrophes naturelles, aux anciens combattants, etc. 
Le dispositif s’adresse à la fois aux patients mais aussi aux soignants. Les soignants peuvent être présents durant ce processus. C’est important de le préciser, car le pont entre les soignants et les patients est très fragile. En tant que patient nous devons écouter le médecin, car il sait mieux que nous ce qui est bon pour nous. Mais en tant que personne vivant avec un diabète nous savons mieux que quiconque comment vivre notre maladie. Le soignant doit alors trouver le juste équilibre : être présent pour le patient et lui apporter un savoir mais sans pour autant l’infantiliser, tout en gardant une oreille attentive à son vécu. Je pense que le Théâtre du Vécu a aussi pour but de renforcer ce pont entre les deux. »  


Déroulement 

« Prenons l’exemple d’une personne atteinte d’un diabète de type 1 qui arrive dans ce dispositif. Celle-ci va être invitée à écrire un épisode de sa vie, avec ou sans rapport avec le diabète. Ensuite, elle met en scène cet épisode grâce au metteur en scène qui est là pour l’aider et grâce aux deux comédiens qui vont interpréter l’épisode. Ce qui est intéressant c’est que le patient ne joue pas sa propre scène, il la met en scène, il choisit la musique, les lumières, les costumes, la manière dont c’est joué en dirigeant les acteurs à l’aide du metteur en scène. Enfin, il est spectateur de sa mise en scène. »

 

Utilité 

« Le dispositif sert à aider les patients à prendre du recul. Comme je l’ai précisé tout à l’heure le patient ne joue pas la pièce, il la met en scène, donc la prise de recul est plus importante. Cela permet de ressentir les émotions, sans être englouti pour autant.  
Il y a aussi une sorte d’aspect rituel. Dans le livre : Le Théâtre du Vécu. Art, soin, éducation, les auteurs décrivent que le metteur en scène invite chaque participant à se détacher symboliquement de son texte, en choisissant l’un des quatre éléments : l’eau, le feu, l’air ou la terre. Soit nous brûlons le texte, soit nous le noyons dans l’eau, ou nous l’enfouissons sous la terre. Il y a ce côté très ritualisé, qui ajoute cette distance, où nous lavons, brûlons, enterrons nos souvenirs, en faisant table rase du passé. Même si le texte est détruit, les patients récupèrent les restes, et à ce moment ils écrivent une nouvelle version : le texte final qui sera mis en scène. Tout est pensé pour que le texte puisse s’éloigner de l’auteur.
Il y a aussi l’idée de sublimer une expérience négative, de métamorphoser la boue en or, mettre des feuilles d’or sur les fêlures des vases. Dans le cas du diabète de type 1 cela marche très bien, car le vécu est indissociable de la maladie. Par exemple, quand la glycémie part dans tous les sens, ce n’est pas seulement parce que la personne gère mal. C’est aussi par rapport à ce qu’elle traverse : autre maladie, deuil, stress... Intégrer le récit dans le soin est donc essentiel, parce que nous ne soignons pas juste une maladie, nous accompagnons une personne dans ce qu’elle vit. »


 

Dirais-tu que le théâtre – ou l’art en général – aide à mieux vivre avec le diabète ? Si oui, de quelle manière ?

« Je pense que l’art aide à mieux vivre en général. L’art est essentiel pour l’être humain. Dans toutes les civilisations du monde, il y a toujours eu de l’art. C’est indissociable à l’être humain.
Le diabète est une maladie où il y a beaucoup de solitude : nous sommes seul face à notre traitement, nous nous auto-soignons. Beaucoup de choses doivent s’accomplir seul. Une fois j’avais posé une question à ma diabétologue sur le diabète, et elle m’avait répondu par « je ne sais pas ». À ce moment, je me suis dit que si même elle, docteure, ne pouvait pas me répondre, j’étais vraiment seule. Puis, le diabète de type 1 n’est pas forcément héréditaire, dans ma famille personne n’est diabétique de type 1. Je ne savais pas avec qui échanger, avant de rencontrer d’autres personnes atteintes. L’art est vecteur de rencontres. Il permet aussi de combattre les idées-reçues face à la maladie : nous pensons souvent que le diabète est dû à une consommation excessive de sucre, et voir des spectacles permet de sensibiliser. Aussi, l’art théâtral montre en direct la personne atteinte de diabète sur scène, avec ses dispositifs, et l’identification est encore plus forte. Voilà pourquoi l’art en général peut aider à mieux vivre avec le diabète. »

 1 Olivier Horn, Jean-Philippe Assal, Tiziana Assal et Marc Durand

 

Penses-tu que l’art peut aussi jouer un rôle dans la déstigmatisation du diabète auprès du grand public ?

« Oui, dans le cas du diabète, l’art permet de rendre visible une maladie invisible. Je pense que même en montrant nos dispositifs, de manière anodine entre nous, cela permet de rendre cela normal. Le chemin est encore long, car il s’agit d’une maladie difficile à comprendre. Mais lorsque je vois la pièce de Stanislas Roquette, ou encore le Drag show de Victoria Sucrette, il y a cette part d’explication, cette place de la science, qui permet au spectateur qui n’est pas du tout touché par le diabète, de se rendre compte de ce qu’est la maladie. Beaucoup de spectateurs de théâtre, de drag shows vont aller voir le spectacle parce qu’il s’agit de leur centre d’intérêt sans forcément être atteint de diabète de type 1, donc cela sensibilise forcément. Et aussi, cela permet aux personnes atteintes de diabète de découvrir le théâtre, le drag, les arts plastiques… C’est un peu donnant-donnant. »

 

Pourquoi les personnes atteintes d’un diabète de type 1, ou plus largement d’une maladie, sont présentes dans le milieu artistique ?

« Les personnes malades sont très présentes dans le milieu artistique, parce que je pense que l’art occupe une place importante dans l’apprentissage d’être au monde. L’art, avec la religion, sont souvent les seules réponses face aux questions métaphysiques. Encore plus quand nous sommes malades : pourquoi suis-je malade, qu’ai-je fait pour mériter ça, où trouver ma place ?  Il y a aussi la mort, qui est très présente, avec la prévention des complications, l’idée d’être dépendant à l’insuline. Notre existence reste sensible aux contextes socio-politiques et médicaux, comme nous avons pu le voir avec l’épidémie du Covid-19, les pénuries, les guerres… L’art est donc comme une bouée de sauvetage. Avec le diabète de type 1, se sentir compris est difficile, car il s’agit d’une maladie complexe et je pense que l’art peut servir à se sentir compris, autrement que par des mots. »

Nous avons récemment interrogé Stanislas Roquette, dans un entretien dédié à l’art et au diabète, qui nous disait :
« Oui, l’art m’a permis de faire face au danger que je ressentais dans mon corps à ce moment-là, en le mettant sur scène. […] Je sens également cette envie d’être transcendé, dépassé par autre chose que moi-même. »
Penses-tu que le théâtre permet à la personne atteinte de diabète de « sortir de son corps », comme « spectatrice de son histoire », comme tu l’évoques dans ton mémoire ?

« Je pense que le théâtre intervient toujours à des moments difficiles. Pour beaucoup, il surgit à un moment où ils avaient besoin d’une porte de sortie. Quand nous sommes sur scène, nous jouons d’autres vies, nous ressentons des émotions qui ne nous appartiennent pas mais nous résonnons beaucoup avec ces émotions. 
Et lorsque nous mettons en scène notre vécu en scène, comme Stanislas Roquette, dans Insuline & Magnolia, cela doit être encore plus fort. À force de jouer les mêmes émotions, les mêmes scènes, à la fin nous finissons par prendre du recul et nous ne jouons plus vraiment nous-même mais davantage un personnage qui nous ressemble : les émotions partent du domaine du réel, à un domaine fictif. Cela permet de prendre du recul sur notre vécu. »

 

Quelle suite t’attend sur le plan personnel et professionnel ?

« À l’avenir, j’aimerais être intervenante de théâtre. Et je vais continuer à Cassel en tant que comédienne et conteuse. Je pense que le diabète reviendra forcément, car c’est le tempo de mon existence. »

 

Une œuvre que tu aimerais nous partager, en lien avec le diabète ?

« J’ai découvert beaucoup d’œuvres en lien avec le diabète, mais parmi les artistes qui m’inspirent, il y a Claire Marin, et ses livres : Hors de moi et Catastrophe de l’intime. Cela parle de la maladie chronique et les mots qu’elle utilise et la manière dont elle parle de la maladie est très touchante. L’identification est forte. Ensuite, il y a les artistes tels que Stanislas Roquette, la compagnie du Théâtre aux Etoiles, Victoria Sucrette et la robe de capteurs qu’elle a pu faire. Cela représente un travail considérable. C’est vraiment utiliser la maladie pour en faire quelque chose de nouveau, positif et esthétique, c’est une force impressionnante. »

La Fédération profite de cet entretien pour vous annoncer que certains bénévoles des Associations Fédérées, organisent des ateliers Théâtre du Vécu. L’AFD Île-de-France, organise six ateliers en 2025, à destination des patients, des parents et des aidants. Pour en savoir plus, n’hésitez pas à contacter votre asso locale.

Découvrez nos différents entretiens sur le thème de l’art et du diabète : 
-    Rencontre avec le comédien, metteur en scène et auteur Stanislas Roquette
-    Portrait de Marc Bengué, Bénévole Patient Expert atteint de diabète de type 1 et chanteur ;
-    Retrouvez l’ensemble des entretiens en cliquant : ici.