Oui je suis insulino-dépendante, et alors ? Moi, c'est Gaëlle. Il y a un peu plus de 15 ans maintenant, la force des choses a fait que j'ai dû me rendre à l'évidence qu'un compagnon de route m'accompagnerait, désormais, le long de mon parcours. Ce compagnon s'appelle diabète. Au départ, on m'a donné quelques clés de base pour savoir comment vivre avec lui et puis, le temps passant, j'ai expérimenté, testé, essayé, constaté, échoué, réussi, lâché... Appris ! Appris tout un tas de trucs sur moi, mon fonctionnement, mes besoins.
L'agacement, la frustration, la colère, l'impuissance tout autant que l’apaisement, l'acceptation, l'écoute, la douceur et la compréhension ont été et sont toujours les points de balance de notre vie commune, avec le diabète, qui ont fait que, petit à petit, on a appris à vivre ensemble, la majorité du temps, aujourd'hui, avec sérénité. Le temps passant, je me suis forgée d'autres clés, les miennes. Je n'ai pas tenue compte d'autres barrières, d'autres limites, que celles que je me suis posées à moi-même. Doucement mais sûrement, je les ai dépassées, repoussées, sans jamais avoir l'impression de m'en demander trop ou de me mettre en danger. Apprenant à bien me connaître, à m'écouter, à me faire confiance, faire confiance à la vie, à tacher d'être organisée et pragmatique. Je suis ma propre expérience, mon propre cobaye, mon propre enseignant et le monde est mon laboratoire à grande échelle. Le diabète, mon enseignant tout autant que mon compagnon de route.
Un beau jour, sur ces chemins à 4000 mètres au milieu des géantes himalayennes, seule, je regarde ces montagnes, qui me surplombent et m'entourent de toute part, bien plus hautes que je ne le suis moi-même, bien plus hautes que je n'irai jamais avec mes pieds. Sensation grisante d'immensité, de grandiose, de liberté. De vie. Le paradis existe bel et bien, nous marchons dessus. Mes pensées se promènent et me rappellent le chemin que j'ai parcouru avec moi-même. Me rappellent aussi ces personnes importantes qui m'ont aidée, soutenue, conseillée pour que j'arrive jusque là. Celles qui se sont inquiétées et m'ont fait confiance. Celles, aussi, moralisatrices, qui ont essayé de me transmettre leurs propres limites, leurs propres peurs. Celles-là, je ne les ai pas écoutées. Grand bien m'en fasse, si je l'avais fait, me serais-je jamais sentie un jour aussi vivante, capable et en pleine possession de mes moyens, qu'en cet instant ? Mes pensées m'emmènent ensuite à ces pique-niques organisés pour les jeunes diabétiques. Ces temps de rencontre et de partage auxquels j'ai rapidement refusé d'aller, car le tableau que j'y voyais m'étais difficilement supportable. Tant de restrictions, tant de barrières, tant de chaînes, tant de volonté de contrôle. Incompréhension : '' C'est déjà assez compliqué comme ça, pourquoi s'en rajouter ? ''
Je suis loin d'être parfaite et ne prétends aucunement être un exemple à suivre, mais je fais de mon mieux, avec moi, et pour moi, et je refuse de troquer la vie, ma vie, contre l'offre de survie de la promesse d'une prison où une légende raconte que tout est équilibre. Car ce paradis là, il n'existe pas." L'équilibre n'existe pas, nous sommes seulement des équilibristes "(Eva Ruchpaul) Là-haut, dans ces montagnes, je trouve mon numéro d'équilibriste réussi. Je n'ai pas accepté ces fausses promesses de sécurité et de bien-être dans le contrôle à outrance, qui auraient été, pour moi, synonyme de lente agonie. J'ai réfléchi, ciblé les problèmes, trouvé des solutions. Écouté les conseils, noté les inquiétudes, fait la part des choses. Je me suis ensuite organisée en conséquence. Je suis responsable de ma propre vie, personne d'autre que moi ne peut prétendre tenir ce rôle. Je n'ai alors qu'à me donner les moyens de réaliser ce que je souhaite voir se réaliser. Le chemin pour comprendre tout un tas de trucs et vivre apaisé ensemble, le diabète et moi, a été long et sinueux, plein de tours et de détours, mais voilà, je suis là, et ça en valait mille fois la peine. Devant ce spectacle de nature et de vie, il me semble alors évident, qu'après tant de liberté d'une vie sans grandes contraintes, que la vie elle-même m'a laissée mener sans rencontrer de difficultés majeures, j'ai quelque chose à partager avec ceux qui le souhaitent. Peut-être ouvrir le champ des possibles, peut-être aider à la libération de certaines chaînes psychologiques. Peut-être offrir un appui, un soutien, un accompagnement dans une démarche, aider à trouver de l'espoir ou du courage, qui sait ? La maladie peut devenir une fausse bonne excuse, créant des peurs, certaines sensées, d'autres, non. Une fois le '' vital '' assuré, on en est tous au même point, le risque 0 n'existe pas, et personne ne sait ce qui va se passer.
Marcher vers ses rêves, c'est une histoire d'être humain, pas de diabétique.
Dans cet endroit, il y a peu de place à l'erreur. Ni pour un diabétique, ni pour personne. Si la montagne veut nous garder, alors peu importe qui on est, et quelle est notre histoire, on n'en revient pas. Pareil lorsqu'il s'agit d'un tremblement de terre. Pareil lorsque les freins du bus lâchent en descendant la montagne. Pareil en rencontrant des empreintes de léopard, seule, au milieu de la forêt, à des heures des dernières habitations, et encore loin des habitations d'après. Pareil en traversant ce pont suspendu, unique chemin à des heures de marche, et dont les bords sont aplatis, écrasés à cause d'un éboulement. Les locaux l'utilisent. Alors je le peux aussi, il s'agit de ne pas glisser. Tout ça, ce n'est pas une question de maladie et encore moins de contrôle. '' La vie, c'est dangereux, on en meurt. '' Évidemment, le diabète impose des ajustements, une organisation différente, une certaine autodiscipline et un droit à l'erreur moindre que pour d'autres. Mais si, au lieu de se concentrer et rester buté sur l'impossible, cette même énergie, cette même force de volonté, étaient dirigées vers le possible.'' Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait '' Cesser de lutter contre quelque chose de plus fort que nous, travailler en équipe.
Mes pensées continuent de divaguer et me rappelle également que, dans ce pays, comme dans d'autres, je n'ai croisé aucun local diabétique de type 1, et n'en rencontrerai probablement jamais. Pas qu'il n'y en ait pas, ça je n'en sais rien, mais plutôt que, s'il y en a, l'accès, autant logistique que financier, fait que, si certains sont encore en vie pour en parler, ils ne doivent pas être nombreux. Chance, malchance, qui peut le dire ? Venant de France, j'ai mes médicaments, gratuitement qui plus est, ce qui me permet de vivre et d'utiliser mon argent pour autre chose que ces médicaments qui me tiennent en vie. Les choses sont telles qu'elles sont, la culpabilité est inutile, ceci dit, je me sens privilégiée. Ma vie dépend de l'insuline mais tant qu'il y a l'insuline, il y a la vie et je n'ai pas envie de passer à côté de ce qui ressemble à une 2ème chance.
La première fois que je suis rentrée d'un an et demi de voyage, j'ai compris que ce retour n'en était pas vraiment un, mais plutôt la suite du voyage. Que si le voyage permet de se rencontrer et d'apprendre, le diabète aussi. Finalement, ce voyage a commencé bien avant que j'en ai conscience. La vie, le voyage, la maladie. Tout est en permanence source d'apprentissages. Libre à nous de nous en saisir. J'ai été profondément touchée/changée par ce que j'ai vu et vécu. J'ai le temps et l'envie de partager mes trouvailles et compréhensions, si elles peuvent rendre service.