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Diabète de type 1 et risques cardiovasculaires, une réalité à affronter

Le diabète de type 1 est une maladie auto-immune qui attaque le pancréas, mais aussi les cellules du cœur par le biais de l’hyperglycémie. Les patients ne sont pas non plus à l’abri des risques cardiovasculaires habituels qui aggravent la situation. Autant de raisons de prendre conscience de ces risques et de les prévenir par un bon contrôle glycémique, à l’occasion des recommandations du Congrès européen de Cardiologie en matière de prise en charge des patients à risque, quel que soit le type de diabète.

L’auto-immunité n’est plus un facteur marginal. Début février 2019, une célèbre équipe américaine (Joslin Clinic, Harvard)1 a montré l’implication significative de l’auto-immunité dans les complications cardiovasculaires liées au diabète de type 1. En soi ce n’est pas surprenant puisque ce diabète est une maladie auto-immune : l’immunité perturbée est hyperréactive contre le pancréas. Cette équipe américaine avait déjà montré une auto-immunité à bas bruit contre les cellules du muscle cardiaque (myocarde) dans le sang de personnes en bonne santé2. Ils ont persévéré en montrant une réaction auto-immune persistante contre les cellules myocardiques chez plus de 80% des patients diabétiques de type 1 ayant fait un infarctus du myocarde3, mais pas chez les patients diabétiques de type 2 (ce type de diabète étant non auto-immun).

Des anticorps contre son cœur

Les chercheurs de la Joslin Clinic ont alors émis l’hypothèse que l’hyperglycémie connue pour déclencher des processus inflammatoires généraux pourrait être fortement délétère chez des patients diabétiques de type 1 ayant déjà des troubles immuns anti-pancréas. Dans deux grandes cohortes, les chercheurs ont disposé d’échantillons sanguins des patients et de leur hémoglobine glyquée (HbA1c), le marqueur de référence de la glycémie moyenne. La cible thérapeutique est une HbA1c inférieure ou égale à 7%. Une HbA1c supérieure ou égale à 9% signe un diabète déséquilibré (beaucoup de complications), elle est « hors cible thérapeutique ».

Les résultats révèlent une forte réaction à auto-anticorps contre le myocarde lorsque l’HbA1c est « hors cible », réaction qui s’aggrave avec le temps. Tous les patients diabétiques de type 1 avec un niveau élevé d’auto-anticorps myocardiques évoluent vers des dégradations cardiovasculaires visibles aux explorations spécialisées, contrairement à ceux dont l’HbA1c est restée dans la cible thérapeutique. Toutefois, très peu d’accidents cardiovasculaires sont survenus durant le suivi (6 en 25 ans !) ; le seul mortel a frappé le patient qui avait le plus grand nombre d’auto-anticorps myocardiques. Un autre résultat est décisif : le témoin de l’inflammation chronique qu’est la protéine C réactive est trois fois plus élevé en présence d’auto-anticorps myocardiques.

L’importance considérable de l’équilibre glycémique

Pour résumer, un diabète auto-immun (diabète de type 1) est à haut risque d’atteinte cardiaque en sus de l’atteinte pancréatique, mais ce risque dépend étroitement du bon contrôle glycémique. L’hyperglycémie chronique est le facteur nocif qu’il faut maîtriser puisque responsable d’une inflammation de fond qui use les organes sans distinction.
John Petrie et Naveed Sattar dans un éditorial très pédagogique4 montrent la cascade d’événements qui aboutit aux atteintes cardiovasculaires d’une hyperglycémie chronique.  L’inflammation chronique installe une athérosclérose, plus ou moins généralisée selon le mode de vie des patients diabétiques de type1, qui peuvent être sensibles comme tout le monde aux attraits de la sédentarité et de la société de consommation. Malheureusement les facteurs de risque habituels leur sont plus néfastes qu’aux autres consommateurs.

Petrie et Sattar, en raisonnant à partir des atteintes cardiaques immunes parasitaires qui n’entraînent pas d’atteinte artérielle (athérosclérose), constatent que c’est pourtant le cas avec le diabète de type 1. Ils supposent que les multiples anticorps observés chez les patients attaquent les artères par un ciblage particulier de leurs molécules musculaires. Cela dit, en raison du petit nombre d’accidents cardiovasculaires observés en vie réelle (rassurant pour les patients !) il faudrait de plus grandes cohortes de personnes diabétiques de type 1 (vie entière idéalement) pour évaluer précisément le risque d’infarctus du myocarde et d’insuffisance cardiaque selon le degré d’auto-immunité, le profil/dosage des auto-anticorps et le niveau d’inflammation générale.
D’ores et déjà, l’immunité personnelle et l’inflammation liée à l’hyperglycémie sont les ennemis des patients. Pour Petrie et Sattar, la classification (stratification) du risque en fonction de ces deux critères permettrait d’adapter la prise en charge :

  1. par le recours à des dispositifs médicaux innovants comme les insulinothérapies en « boucle fermée » (pancréas artificiel) pour rester dans la cible glycémique le plus possible ;
  2. par la protection cardiaque médicamenteuse pertinente et anticipée.


Les risques cardiovasculaires spécifiques au diabète de type 1

Le risque cardiovasculaire d’un patient diabétique de type 1 oscille entre 5 et 10 fois celui d’une personne en bonne santé. À l’âge de 20 ans, un patient aurait une réduction de son espérance de vie de 12 ans, due pour un tiers aux accidents cardiovasculaires5. Mais la situation s’améliore ! Une étude en population suédoise (2017)6, montre une réduction progressive de la mortalité globale, cardiovasculaire et par infarctus myocardique, ainsi que des hospitalisations pour ces motifs, chez toutes les personnes diabétiques, donc les patients diabétiques de type 1. Ces effets sont attribués au progrès de la prise en charge par les auteurs.

La même équipe (Rawshani et coll. 2019)7 a affiné son exploration des risques cardiovasculaires des patients diabétiques de type 1. Sur les 17 facteurs mis à l’épreuve des statistiques, les critères majeurs à dix ans sont l’hémoglobine glyquée (HbA1c), la durée du diabète (survenue précoce), une albuminurie (atteinte rénale), la pression artérielle systolique (PAS - le chiffre du haut) et le cholestérol LDL (mauvais cholestérol). Rien de neuf mais l’équipe donne des chiffres, un classement (voir tableau 1)  et même une dominance selon la complication :

Facteurs de risqueOrdre d’importance
Albuminurie/débit de filtration glomérulaire1
HbA1c2
Durée du diabète3
Pression artérielle systolique4
Cholestérol LDL2

Tableau 1 - Facteurs prédicteurs de la mortalité et de complications cardiovasculaires

 

Une HbA1c augmentée de 1% c’est 22% de risque cardiovasculaire en plus et c’est surtout le facteur déterminant de la mortalité toutes causes.
Un cholestérol LDL haussé de 1 mmol/L entraîne 35 à 50% de risque supplémentaire. C’est le deuxième facteur déterminant les infarctus du myocarde après la durée du diabète.
Une albuminurie/protéinurie multiplie de 2 à 4 fois les complications cardiovasculaires. C’est le premier facteur d’insuffisance cardiaque et le deuxième de survenue d’un accident vasculaire cérébral (AVC) après la pression artérielle systolique (PAS).

Finalement, le cadre où se tenir pour courir des risques minimaux, est selon les auteurs : une hémoglobine glyquée inférieure à 7%, une pression artérielle systolique (PAS) inférieure à 140 mmHg et un cholestérol LDL inférieur à 2,5 mmol/L (1g/L).

 

Attention cela ne veut pas dire qu’il faut continuer de fumer, ni que des limites plus sévères n’ont pas de meilleurs résultats. Toutes ces connaissances alimentent les recommandations prononcées par la Société européenne de cardiologie durant son récent congrès parisien (ESC 2019).

Les recommandations cardiologiques européennes

Plusieurs recommandations ont été publiées dont celles concernant 1) les patients diabétiques et prédiabétiques,8 2) les patients avec troubles lipidiques,9 les uns n’excluant pas les autres, bien évidemment. La tendance est à la sévérité. Pour guider la prise en charge, les patients sont stratifiés, c’est -à-dire catégorisés selon leur niveau de risque cardiovasculaire, en « très haut risque », « haut risque » et « risque moyen », sans réelle distinction entre le diabète de type 1 ou le diabète de type 2 (tableau 2). Ne cherchez pas de diabète sans risque, il n’en existe pas pour les cardiologues. Le ton est donné.

 Très haut risque

Patient diabétique
ET une complication cardiovasculaire avérée,
OU une autre atteinte d’organe*,
OU 3 et plus facteurs de risque majeurs**
OU DT1 précoce, depuis plus de 20 ans

 Haut risqueDiabète depuis 10 ans et plus
Sans atteinte d’organe
Avec n’importe quel autre facteur de risque
 Risque modéréPatients jeunes : de moins de 35 ans (DT1) OU de moins de 50 ans (DT2)
Avec la maladie depuis moins de 10 ans
Sans aucun autre facteur de risque

*Atteintes d’organe = protéinurie, débit de filtration glomérulaire diminué, hypertrophie cardiaque ventriculaire gauche, rétinopathie.
**Facteurs de risque majeurs = âge, hypertension artérielle, dyslipidémie (trouble lipidique), tabagisme, obésité.
Tableau 2

 

L’équilibre glycémique en tête de prévention

Outre les recommandations hygiéniques bien connues, le contrôle glycémique retenu pour prévenir les complications cardiovasculaires sont les suivantes par ordre décroissant de preuves scientifiques, toujours suffisantes pour apparaître dans ces recommandations :

  • Contrôle glycémique strict visant une hémoglobine glyquée inférieure à 7% pour réduire les complications microvasculaires de toute personne diabétique.
  • L’hémoglobine glyquée ciblée doit être individualisée selon la durée du diabète, l’âge et les pathologies associées.
  • Il faut éviter les hypoglycémies.
  • Il faut proposer d’optimiser l’équilibre glycémique par l’auto-contrôle glycémique ou un dispositif de contrôle glycémique continu.
  • Une hémoglobine glyquée inférieure à 7% doit être proposée pour limiter les complications macrovasculaires de toute personne diabétique.

En prévention cardiovasculaire primaire, la Société européenne de Cardiologie place, outre une hémoglobine glyquée inférieure à 7% chez tous les patients diabétiques, des limites aux lipides sanguins selon le niveau de risque. Les moyens employés sont diététiques d’abord et médicamenteux (tableau 3). On notera que les cibles sont parfois envisagées plutôt que recommandées, laissant une marge de négociation avec le patient selon son contexte personnel.

Très haut risque diabétiqueRéduire le cholestérol LDL initial de 50%
ET atteindre un résultat inférieur à 55 mg/dL (1,4 mmol/L) (Recommandé)
Haut risque diabétiqueRéduire le cholestérol LDL initial de 50%
ET atteindre un résultat inférieur à 70 mg/dL (1,8 mmol/L) (Recommandé)
Risque modéré diabétiqueAtteindre un cholestérol LDL inférieur à 100 mg/dL (2,6 mmol/L) (Envisagé)

Tableau 3

 

Un objectif atteignable

Les risques cardiovasculaires entraînés par le diabète de type 1 sont bien réels et il ne convient plus de discuter l’impact micro et macrovasculaire de l’hyperglycémie. La bonne nouvelle est que tout repose sur son équilibre au plus près de la physiologie, en sus d’une hygiène pas très exaltante pour qui n’est pas un « super héros ». Le dialogue attentif, l’information juste et des dispositifs médicaux performants permettent d’intégrer progressivement les objectifs préventifs pour une bonne et longue vie.

Références

1- Sousa G et al. Glycemic control, cardiac autoimmunity, and long-term risk of cardiovascular disease in type 1 diabetes mellitus. Circulation 2019;139:730-743.

2- Lv H, Havari E, Pinto S, Gottumukkala RV, et al. Impaired thymic tolerance to α-myosin directs autoimmunity to the heart in mice and humans. J Clin Invest. 2011;121:1561–1573. doi: 10.1172/JCI44583

3- Gottumukkala RV, Lv H, Cornivelli L, Wagers AJ, et al. Myocardial infarction triggers chronic cardiac autoimmunity in type 1 diabetes.Sci Transl Med. 2012;4:138ra80. doi: 10.1126/scitranslmed.3003551

4- John Petrie, Naveed Sattar. Circulation. 2019;139:744–747. DOI: 10.1161/CIRCULATIONAHA.118.038137

5- Livingstone SJ, Levin D, Looker HC, Lindsay RS et al ; Scottish Diabetes Research Network epidemiology group; Scottish Renal Registry. Estimated life expectancy in a Scottish cohort with type 1 diabetes, 2008- 2010. JAMA. 2015;313:37–44. doi: 10.1001/jama.2014.16425

6- Rawshani A, Rawshani A, Franzén S, Eliasson B, et al. Mortality and cardiovascular disease in type 1 and type 2 diabetes. N Engl J Med. 2017;376:1407–1418. doi: 10.1056/NEJMoa1608664

7- Rawshani A, et al. Relative Prognostic Importance and Optimal Levels of Risk Factors for Mortality and Cardiovascular Outcomes in Type 1 Diabetes Mellitus. Circulation. 2019;139:1900–1912. doi: 10.1161/CIRCULATIONAHA.118.037454

8 - 2019 ESC Guidelines on diabetes, pre-diabetes, and cardiovascular diseases developed in collaboration with the EASD- European Heart Journal (2019) 00, 1_69 doi:10.1093/eurheartj/ehz486

9 - 2019 ESC/EAS Guidelines for themanagement of dyslipidaemias: lipid modification to reduce cardiovascular risk. European Heart Journal (2019) 00, 1_78 doi:10.1093/eurheartj/ehz455

Auteur : Docteur Sophie Duméry

Crédit photo : Adobe Stock