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Témoignage

Sébastien, 42 ans (66)

Pourvu que l'on y soit suffisamment ouvert, la vie a parfois ce don de nous faire vivre des expériences qui bouleversent toute notre destinée. Ou comment nous faire doucement passer du « à cause de » à « grâce à ». C'est ce que j'ai vécu. Je m'appelle Sébastien, j'ai 42 ans, 2 filles, je suis infirmier en milieu hospitalier et j'aime la montagne. Dans mon histoire, ni mon père ni ma mère n'ont voué une passion à cette curieuse maîtresse. J'ai commencé ma vie sportive par les arts martiaux, jusqu'à mes 19 ans. Étudiant en 1ère année de médecine, j'ai alors découvert plus tôt que prévu l'univers des hôpitaux.

L’acidocétose inaugurale, le service de réanimation, puis la suite que (presque) tout le monde connaît quand on vit avec un diabète de type 1. C’était en 1995 : apprentissage de l'auto surveillance, des injections d'insuline (2, 3 puis 4 injections et la pompe), la diététique, le suivi médical, le podologue, le psychologue, le cardiologue...La joie quand on a 19 ans. Et le monde qui s'écroule ; fini la fac de médecine et les arts martiaux. J'ai peur et j'angoisse. Que va donc être ma vie dès lors ? Vais je seulement y arriver ? Mille questions sans réponse traversent mon esprit et mon cœur se resserre sur lui-même.

Et c'est là que je l'ai connu : celui qui allait devenir d'abord mon médecin diabétologue, mon « mentor », mon confident puis doucement mon ami, et enfin mon « père spirituel ». Michel Piperno. Chef du service d'Endocrinologie-Diabetologie à l’Hôpital de Perpignan, je lui dois beaucoup de ce que je suis devenu à ce jour. Au fond du trou, il m'a amené, au sens propre comme au sens figuré, au sommet. Des montagnes et de moi même. J'avais tout à apprendre quand il m'a dit, convaincu et rassurant : « Va t'acheter une paire de godasses de montagne et rendez-vous demain à 13h ». Et je l'ai écouté, pas très convaincu...Et nous sommes partis...Tout à apprendre donc : la diététique avant, pendant et après l'effort, l’adaptation des doses d'insuline selon la durée et le profil de l'ascension, l'importance de l'auto surveillance, la gestion des complications (hypo et hyper), j'y reviendrai en détail... La tache était rude mais j'avais une confiance infinie envers cet homme. D'autant que tout cela se passait dans un environnement où je n'avais guère mis les pieds jusqu'alors et où j'avais, là aussi, tout à apprendre. Ce fut rude donc. Mais j'ai vite aimé ce milieu montagnard, ces rencontres simples et souvent éphémères, au détour d'un sentier ou d'une crête, sur un névé ou au contact de la chaleur douce d'un rocher au soleil. Ces moments de contemplations et de sérénité retrouvées, là où le temps s'arrête et où une hyperglycémie n'est juste qu'une...simple hyperglycémie (« t'inquiète, fais 2 unités de rapide, mange une pomme et ça ira », et ça marche !). Et petit à petit je progresse. 

Je continue, avec Michel (mon diabéto est lui aussi passionné de montagne) à me perfectionner sur la technique propre aux activités de montagne : l'escalade en tête, la progression sur neige. Je monte de plus en plus haut et gravis des sommets à plus de 3000 mètres (Taillon, Grande Fache). Et plus j'y vais, plus j'aime ça. Alors me viens de façon évidente le désir d'être autonome. Je m’équipe sérieusement, achète tous les bouquins (ou presque) et toutes les cartes IGN. Puis j'y vais, seul quelquefois (pas très prudent...). Valérie (ma compagne à cette époque) m'accompagne assez souvent. Je découvre, avec enthousiasme et passion, la chaîne pyrénéenne : le Parc National des Pyrénées, Gavarnie, le Neouvielle, le Parc National d'Aiguestortes en Catalogne . Je vais de plus en plus haut vers le Mont Perdu, le Montcalm, le Vignemale (mon premier glacier) en complète autonomie vis à vis de mon diabète. Chaque course, chaque randonnée devient un moyen privilégié pour en apprendre un peu plus sur mon diabète et aussi donc sur moi-même.

Je commence à mieux me connaître, à bien savoir gérer l'effort, l'alimentation et les risques sur de longues durées et dans cet environnement parfois hostile. Nous sommes alors en 2005. Voilà 10 ans que je marche et j'ai envie d’élargir mes horizons. J'ai 30 ans, je me sens bien, j'ai des soucis comme tout le monde, j'en ai parfois (très) marre du diabète (même s'il va bien, il est là et pas prêt de vouloir me fiche la paix) et je veux voir les Alpes. Je rencontre celle qui partagera ma vie pendant 13 ans. Avec Emmanuelle, j'ai parcouru en trek le parc de la Vanoise en bivouac et en autonomie totale pendant 8 jours, le tour du Mont Thabor en 8 jours, le Vignemale encore. Nous avons découvert, toujours à pied et avec la tente, la Suisse et Chamonix (10 jours de trek), le Mercantour, et d'autres séjours en hiver aussi en raquettes à neige (dans le Beaufortain, la haute Maurienne, les Alpes de hautes Provence, le Queyras). 

Dès 2009, avec celui qui deviendra mon compagnon de cordée, Joël, j'aborde la randonnée alpine : ascensions de sommets et trek de plus en plus longs et durs techniquement. Nous marchons dans le massif des Posets (Aragon), du Vignemale toujours, des Gourgs Blancs (Haute Garonne). En 2014, nous décidons, Joël et moi même, de franchir un cap. Nous voulons nous initier à l'alpinisme. Par l’intermédiaire d'un ami, je rentre en contact avec un guide de haute montagne des Hautes Alpes : Bruno. Connu dans le milieu montagnard, nous lui expliquons nos motivations. En juin 2014 nous partons dans ses traces vers la Grande Ruine, le Pic Nord des Cavales, la Tête Nord du Replat. Lors de l'été 2016, ous irons promener nos godillots et chaussons de grimpe dans le massif des Ecrins et du Piémont italien (Traversée du Pic Geny, traversée des aiguilles du Soreillier, Aiguille Dibona, arête est du Mont Viso). Nous y perfectionnons nos techniques d'escalade et de progression sur neige et glacier. Nous reviendrons les yeux pleins d'étoiles.

Nous avons attrapé le virus de l'alpinisme. Le monde de l'altitude me titillait les mollets depuis ma prise d'autonomie au début des années 2000. Il fallait que j'y aille, que je vois, que je sente et plus que jamais que je le vive. Pour moi, c’était un rêve qui devenait enfin réalité. Dès lors, nous n'avons eu de cesse de partir, par nous-même, à la quette de notre Graal. Nous sommes partis en osant. Vers ce couloir de neige et de glace, cette arête aérienne, cette paroi verticale, ce glacier immaculé (Meije Orientale, Les Rouies, arête sud du Râteau, massif du Caroux, couloir Swan à Gavarnie, escalade dans le massif du Canigou...). Je suis le premier de cordée, toujours. J'ouvre la voie, cherche l'itinéraire, le meilleur passage, le protège, évalue les risques et gère mon diabète. Et j'y arrive : pas d'incidents, pas d'accidents. Je m'y suis vite senti bien, là-haut. Là-haut sur ces crêtes entre ciel et terre, à tutoyer le vide. Curieusement, voire paradoxalement, j'y trouvais une sérénité qui me faisait souvent défaut en bas. L'intensité et le calme de l'instant. Rien d'autre que ce rapport simple et dépouillé aux éléments, à la nature, à soi. Tout est là, tout est déjà là et il n'y rien à ajouter ou enlever. Y compris le diabète. Tout cet univers me parle au plus profond de mon être, j'y vis des moments de plénitude, parfois même de grâce. Et à l'instar de Peter Camezind, si la montagne se supprime pas mes peines et mes douleurs, elle les rend plus acceptables...

Si nos pas ne peuvent s’arrêter, le temps, lui, est suspendu au milieu de l 'éternité. Sans parler des questions propres au diabète (j'y viens très vite !), toute cette approche demande un énorme travail en amont. Un travail intellectuel puis manuel : réviser les techniques de sauvetage en crevasses, les différentes techniques de progression, chercher des informations sur une ascension (littérature, internet), ses conditions puis une préparation physique rigoureuse : renforcer son endurance et sa résistance, sa musculature (exercices de gainage) pour mieux grimper. Je pratique donc en parallèle un peu de course à pied, beaucoup de VTT, de l'escalade en falaise, des étirements...Je peaufine la diététique. De toute façon, j'ai vite compris l'importance du sport dans ma vie de diabétique et dans ma vie tout court. Mes glycémies sont plus stables, j'ai besoin de petites doses, mon poids reste stable, je préviens les complications et au delà de toutes ces belles raisons, je me sens mieux quand je fais du sport que quand je reste inactif (même si j'adore me poser à d'autres moments). J'aime ça...

En 2015, j'ai 40 ans et une crise...Qui dure. Je remets beaucoup d'aspect de ma vie en question. Sauf la montagne à qui je reste fidèle. Elle m'aide à tenir et me permet d'y croire et de me relever. Je me fais aider (merci Annick). Je découvre alors la méditation de pleine conscience qui me sera utile tant dans ma vie personnelle que lors de ma pratique de la montagne. C'est en 2016, sous l'impulsion d'une amie (Karen) qui m'est très chère que je décide de tenter la course à pied en montagne : le trail. Je cours donc de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps. Je progresse, j'intègre un club. Je participe à mes premières compétitions : 10 km, 15 km, 20 km. Ma crise se fait moins inconfortable, je lâche prise. C'est alors que la vie me fait encore une belle surprise. Au sein du club, je fais la connaissance d'Estelle. Elle court beaucoup et plutôt bien ; elle a remporté pleins de courses (à la Reunion, sur l'UTMB et bien d'autres encore). Nous partageons cette soif de découverte et de dépassement de soi. Elle m'apprend à mieux courir, me conseille sur l'alimentation, la préparation propre au trail. Dès lors, je m’améliore de plus en plus. Je pars aussi seul sur des courses en montagne de plus en plus longues : 25 puis 35 km jusqu'à faire une compétition sur une course de 45 km ; puis une autre le 7 octobre 2017 de 75 km (en 12h10). Je les finis toutes et sans complications concernant le diabète. Je repousse mes limites...Une fois encore.

En parallèle, Estelle veut tenter l'alpinisme et je l'initie (Rateau Est, Meije Orientale). Nouvelle révélation : chacune de nos sortie se solde par un franc succès et par un projet toujours un peu plus « fou ». A ce jour, nous envisageons la traversée des arêtes de Bionnassay et la traversée du Mont Blanc, ainsi que la face nord du Vignemale. Nous y arriverons...A cause de la maladie, j'ai connu de grands moments de détresse. Le désespoir fut dans ma vie. Le découragement m'inondait. L'angoisse et la peur à certains moments furent mes seules émotions. J'ai souffert, j'ai eu mal, si mal...Grâce à la maladie j'ai connu Michel, Karen, Emmanuelle, Estelle, Bruno, Joël et Annick. J'ai rencontré ces personnes qui m'ont toutes aidé à faire une autre version de ma vie. Il y a eu bien sûr mon courage, ma détermination et mon amour pour la montagne. Et au final l'amour pour moi même, y compris avec la maladie et mes autres ombres. La maladie est là, l'ombre aussi. Mais la lumière n'est jamais bien loin, même plutôt bien présente...

Comment je fais ? Mon matériel : une pompe patch Pod + le Pad, un capteur FreeStyle libre (depuis 06/17), un stylo de rapide et de lente, des aiguilles, des bandelettes à glycémie, du Glucagon (mes compagnons de cordées savent faire l'injection), une réserve de sucre que j'utilise uniquement en cas d'urgence et pas en ressucrage, des piles (pour le lecteur et le duo pod/pad) en vue d'une course d'alpinisme ou grande randonnée en montagne. La veille au soir, je mange 150 à 200 g de féculents, un fruit. Je m'hydrate bien les 24h avant (au moins 2 litres d'eau en plus des boissons type thé, café), mêmes doses d'insuline (basal et bolus) que d'habitude. Le jour de la course : 50 g d'HDC au petit déjeuner (céréales semi complètes ou pain si en refuge + fruit + oeuf à la coque + fruits secs + thé),doses d'insuline diminuée de moitié, débit basal diminué jusqu'à – 80% du débit habituel pendant au moins 2 heures puis remonté à – 50%. Glycémie de départ de préférence vers 2 g. Surveillance horaire de la glycémie voire plus si sensation de coup de pompe ou « bizarre » type céphalées ou gros raz le bol subit. Objectif glycémique : plutôt un peu haut vers 1,70 à 2 g (de toute façon ça redescend vite ensuite) pour être en sécurité, minimum 1,40 g. Je mange aussi régulièrement (quelques fruits sec, du jambon, du fromage) et je bois beaucoup. En cas d'hypoglycémie (inf à 1 g) je mange 30 à 40 g d'hdc rapides (pâte d'amande, pâte de fruit) et une barre de céréales. En cas d'hyperglycémie (sup à 2,5 g) je ne stresse pas. Je recontrôle 30 minutes plus tard et j’adapte (je fais 1 unité si la glycémie augmente ou rien si finalement elle diminue). Nouveau contrôle 45 minutes plus tard (c'est facile et rapide avec le FreeStyle libre...) et je vois.

En fin de course : glycémie et je mange un fruit si besoin (inf 1,2 g). Au repas du soir, je baisse de 2 unités même si glycémie élevée (sup 2 g) car le risque d'hypo nocturne est bien réel et fréquent. Je mange normalement et je peux même me faire plaisir (on l'a bien mérité). En vue d'une course à pied longue : même chose. Je diminue toutes les doses avant. Je contrôle régulièrement pendant et je vois. Ressucrage et hydratation plus importants. J’amène là aussi un stylo, des aiguilles, des bandelettes. En vue de mes entraînements : toujours une glycémie avant pendant et après. Ressucrage selon. Diminution du débit basal par un débit basal temporaire dont le temps varie selon la durée de l'exercice. Globalement, il s'agit, quel que soit le type d'activité, du même schéma : je diminue les doses (basal - par débit temporaire- et/ou bolus), je me contrôle plus souvent, je mange peu et souvent, je bois beaucoup, je fais attention aux risques de déséquilibre (hypo ou hyper) et j’agis si besoin ; Si hypo : arrêt de l'exercice jusqu'à récupération d'une glycémie au moins = 1,40 g. Si hyper : 1 à 2 unités selon la glycémie et si glycémie très élevée (sup à 3 g) cela dépend des cas (haute montagne, VTT facile, escalade engagée, etc...) mais souvent je fais 2 à 3 unités, j'augmente le débit de basal voire reprend un débit de basal normal (souvent le cas en escalade) et je mange un fruit et tout rentre dans l'ordre, après avoir vérifié l'intégrité du cathéter.

Dans le cadre des sorties en haute montagne, le risque principal est le froid et l'altitude majorées par la notion d'engagement...Je protège donc soigneusement mes appareils au chaud (poche pectorale). Mon compagnon de cordée (ou ma compagne) est bien au courant des conduites à tenir et dans certains cas porte sur lui (ou elle) un double du matériel (électronique, stylo d'insuline, aiguilles, bandelettes). J'ai toujours au fond du sac un stylo d'insuline avec des aiguilles, des bandelettes, une pompe de rechange, du sucre. Au cas où...Comme j'ai toujours sur moi et de façon vite accessible (poche pectorale), de quoi me ressucrer et ce en course à pied comme en montagne. Les difficultés peuvent être de plusieurs ordres : liées au matériel : la pompe peut se décoller (à cause de la transpiration, du baudrier qui frotte). Il faut être vigilant à son positionnement et bien contrôler sa glycémie (si hyperglycémie persistante, penser à vérifier visuellement la pompe et le cathéter). Le capteur aussi...Ils peuvent ne pas supporter l'altitude (à une reprise, la pompe s'est arrêtée de fonctionner à 3700 mètres). Les glycémies faite au Freestyle libre en très haute altitude sont parfois aberrantes comparées aux glycémies capillaires. C'est donc plutôt la tendance glycémique que j'observe. Liée à la nature du terrain : sur une paroi rocheuse ou dans une goulotte de glace, il est difficile de contrôler sa glycémie. D’où l'importance de la vérifier avant le début des difficultés, pendant si possible (à un relais ou lors d'un passage plus facile) et après. L’importance de bien se connaître : j'ai fait mes expériences et je sais, à peu près, comment je vais réagir. En revanche, j'insiste, l'auto contrôle reste malgré tout la meilleure solution pour éviter une mauvaise surprise.

Dans un excés de confiance (aujourd'hui je me sens en super forme), on pense pouvoir se passer des ces règles, du moins en partie. Et c'est là que se passent les pires vécus...Puis un autre jour, même si on est serein et « comme il faut », rien ne va. C'est le déséquilibre le plus complet. On y comprend plus rien...Alors on finit tranquillement, on gère au mieux et ça ira mieux un autre jour. Il peut y avoir des jours comme ça, même si on n'est pas diabétique d'ailleurs...Au final, c'est surtout l’expérience qui m'a amené jusqu'ici. J'ai osé, je crois. Je n'ai plus eu peur de mes erreurs et chacune d'entre elles fut une merveilleuse occasion d'apprendre malgré d'inévitables moments de découragement. Il est vrai que j'ai rencontré des gens formidables, chacun à leur façon, Michel en l'occurrence, qui m'ont beaucoup aidé. Mais j'ai bossé, j'y ai toujours cru et j'y crois encore plus que jamais. La maladie, le diabète, c'est parfois lourd, c'est vrai mais ce n'est pas une fatalité en soi. Il peut y avoir un cadeau caché derrière. Tout est possible. Aujourd'hui, je me demande même comment ça devient encore mieux que cela ? Je n'ai pas la réponse et ne la cherche pas (ou plus). C'est la vie qui me l'apportera... 

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